S’INSERER DANS UN LIEU

Les granges

« J’ai eu pendant vingt-cinq ans une cabane isolée au bord du lac Supérieur qui me manque beaucoup maintenant. Pendant longtemps, j’avais l’impression que cette cabane me renforcerait ; je sentais qu’elle me renforçait dans mes tentatives pour trouver un gagne-pain. Mais c’est tout le contraire : la cabane renforçait seulement mon envie d’y être. »

Les aristocrates sauvages, Jim Harrison

Rétrospectivement, ce qui a peut-être le plus facilité notre insertion, que ce soit au niveau social, environnemental ou économique, c’est d’être arrivés dans la vallée sans le moindre idée précise de ce qu’on aller y faire.  Par conséquent, on a pu prendre le temps d’apprendre à voir ce qui y était déjà, de se rendre compte que ce lieu, bien que nous appartenant sur le papier, appartenait déjà à beaucoup de monde, dans le sens où il faisait partie de leur histoire de famille, de leur parcours de loisir, ou, en ce qui concerne les non humains, de leur habitat.

Notre petite vallée présente un ensemble de granges foraines ainsi que les ruines d’anciennes cabanes de berger située à 1100-1200m d’altitude au pied des estives, dans un secteur où d’anciens près de fauche et de pâturage ont été partiellement réinvestis par la lande et la forêt, et où la hêtraie-sapinière et l’estive au-dessus continuent à fournir des ressources pour l’élevage et la foresterie. Un réseau d’irrigation traditionnel trace ses sillons au travers des étendus herbeuses (ou jadis herbeuses) de la vallée, témoignant de l’ingéniosité et le sens pratique des bergers d’antan en matière de gestion des ressources.

Une grande partie de ce que nous avons mis en place dans la vallée puise directement dans l’intelligence contenu par le lieu. Nous avons repris le fil de la conversation, réactivé les savoirs dormants, pris en compte les usages actuels et apporté un peu de nouveauté, pour mettre en lumière et adapter les éléments du passé qui répondent aux enjeux d’aujourd’hui.

La restauration de la grange principale en maison d’habitation et de la bergerie pour accueillir un troupeau d’une trentaine de chèvres, la construction de la fromagerie et la création du potager, mais aussi la manière dont on s’alimente en eau, en énergie, en nourriture, dont on gère nos déchets pour qu’ils ne soient plus des déchets, dont on prend soin de nos animaux et de leur environnement, dont on cultive nos légumes, tout cela s’est fait et continue de se faire en dialoguant avec le lieu.  Nous tissons des liens qui dépassent notre petite vallée pour faire extension à d’autres échelles, mais dont le centre de la toile reste l’ultra-local.

Notre projet vise la consolidation d’un écosystème pérenne et résilient intégrant l’activité humaine. Il tient à mettre en lumière les effets réciproques qu’ont les différentes utilisations, humaines et non humaines, des ressources d’un même bassin versant, à créer des passerelles qui permettent à des regards divers sur un même lieu de se rencontrer et de prendre conscience les uns des autres.

« Tout point dans le milieu est un point d’observation possible pour tout observateur capable de regarder, d’écouter ou de flairer.  Et ces points d’observation sont continuellement connectés les uns aux autres par des chemins de locomotion possibles.  Au lieu de points et de lignes géométriques, nous sommes donc en présence de points d’observation et de lignes de locomotion. »

Approche Écologique de la Perception Visuelle, James J. Gibson

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