L’âne gardien de troupeau

On a (heureusement) très peu d’attaques de grand prédateurs, Loups ou Ours, et elles sont suffisamment sporadiques -la dernière identifiée remontant à 2 ans- pour qu’elles ne soient pas (encore) un sujet en Hautes Pyrénées. Conséquence, malgré les rapides conquêtes territoriales du loup, nous, éleveurs tardons vraiment à mettre en œuvre les moyens de protection nécessaires. C’est un refus d’obstacle manifeste, mais comment le reprocher… tout le système pastoral récent s’est construit sans cette menace et le réformer est un sacré chantier*

OK, donc pas de Loups pas d’Ours pour le moment… mais de la prédations, des attaques on en fait les frais régulièrement. Les auteurs, les chiens. Ceux de la vallée et ceux des touristes. Les conséquences vont du dérangement du troupeau coursé et qu’on cherche à la frontale à la nuit tombée, aux morsures, blessures diverses conséquences inévitables de ces attaques, jusqu’à la tuerie de dizaines de petits ruminants, au dérochement de troupeaux entier, bref l’horreur. En tant qu’éleveurs laitier on est à la garde à bâton planté et des chiens de randonneurs sans laisse, on en écarte régulièrement. Mais on laisse aussi le troupeau en parcours libre quelques heures et là, on stresse quotidiennement….

On fait de la diplomatie auprès des randonneurs avec leurs chiens, on s’énerve souvent face à leur déni de l’impact de leur chien sur les troupeaux, et sur notre santé physique et mentale, mais on se refuse à monter un chien de protection sur l’estive on est sur un espace partagé et on est conscient de l’impact d’un chien de protection en zone touristique. Un chien de protection demande une présence permanente. Le chien veille au troupeau mais tu dois veiller à ce que le chien fasse son job, sans trop de zèle envers les autres usagers de la montagne et les autres troupeaux. C’est complexe à gérer il faut laisser le chien faire son boulot et gérer les réactions des tiers c’est un réel stress supplémentaire.

En 2022 on prend connaissance de l’usage d’ânes ou de mules pour garder les troupeaux ovins, pratique rependue au États unis et au Canada. L’âne très sociable fait troupeau inter espèce, se nourrit des mêmes fourrages, est autonome, à un bon pied montagnard, il est courageux, ne supporte pas les canidés qu’il repousse et tue si le prédateur se montre trop insistant et ce au péril de sa propre intégrité. Ça coche pas mal de case.

Nous prenons contact avec plusieurs âsineries pour leur faire part de notre projet, la seule qui répond positivement et avec intérêt est la Ferme Bibane qui élève la race Pyrénéenne. On discute du choix de l’âne, castré ou ânesse ? Et Fabienne nous propose un jeune âne, Lutin, un Gascon qui vient de naître, dont la lignée ne peux pas supporter les chiens et qui une fois sevré sera mis en imprégnation avec un troupeau ovin caprin. Nous faisons le choix avec l’éleveuse de procéder comme avec un chien de garde, imprégnation pour qu’il fasse famille avec le troupeau, peu d’interaction avec le berger pour ne pas semer la confusion quand à son rôle ou sa simple position au sein du troupeau.

On récupère Lutin à l’age d’un an. On a pas de chien à la ferme ce qui facilite son éducation, mais avec le recul je sais qu’il reconnait vite qui fait partie de la famille ou pas. On garde tout de même un œil sur nos chats qui accompagnent régulièrement le troupeau.

Lutin est mis à la bergerie avec ses futures copines, séparé le premier jour pour jauger de ses réactions et le rencontrer, puis le lendemain sans séparation mais sous surveillance. Lutin a une position dominante vis a vis des chèvres par le simple fait de sa stature, mais il ne présente aucune agressivité. Le bouc par contre est dominant et Lutin le craint. On verra par la suite qu’il ne se quitterons pas et que Lutin prendra un malin plaisir à taquiner Nesquick.

Très rapidement on fait une première sortie sur l’estive à la longe que je détache, Lutin fait partie du troupeau.

Premier jour d’introduction de Lutin auprès du troupeau.

Retour d’expérience :

Nous sommes sur des parcours d’estives et nous n’avons pas la moindre clôture. En 1 an et demi de libre évolution avec le troupeau Lutin n’a jamais quitté les chèvres.

Lutin à un comportement différent avec ou sans nous. Il se repose un peu plus sur nous lorsque nous sommes présent, il est hyper protecteur en notre absence.

En notre présence il n’est pas agressif avec les chiens de conduite des autres éleveurs, on peu discuter tranquille proche de lui et du troupeau, par contre en notre absence il charge bergers et chiens.

Des collègue éleveurs nous ont rapporté s’être fait charger, le chien entre les jambes.

Un éleveuse nous reporte également une charge alors qu’un promeneur voulait toucher une chevrette.

Les chasseurs se sont fait également charger en passant avec leur chien trop proche du troupeau.

Nous constatons en notre présence des charges de Lutin envers des chiens agressifs, qu’il repousse jusqu’à une distance sécuritaire d’environ 200m puis il revient au troupeau tout joyeux.

Un seul bémol ce printemps pluvieux chèvres et Lutin passent beaucoup de temps en bergerie. Lutin se met à mordre des chèvres à l’encolure. Nous mettons ça sur le compte de l’énervement et de l’ennui, il donne l’impression de tester son caractère dominant sur le troupeau. A noter qu’en ce printemps nous n’avons plus le Bouc. Il se retrouve donc en position dominante dans la bergerie. Solution, réprimande lorsqu’il est pris sur le fait et quotidiennement sortie au près alors que les chèvres elles restent à l’abri.

Je pense commencer à le faire travailler pour occuper ces moments de désœuvrement.

Autre point à surveiller, au départ sur les parcours le matin, Lutin course parfois les chèvres pour s’amuser, ce qui n’est pas de leur goût. Il joue et à besoin de se défouler dès que les prairies s’ouvrent devant lui. Solution dès qu’il démarre je coure pour « jouer » avec lui ce qui semble répondre à ses attentes ou le surprend en tout cas…

Autre point intéressant Lutin joue parfois le chien de conduite en empêchant le troupeau d’emprunter de sa propre initiative un biais nouveau et parfois ramène des trainardes. Tout cela sans aucun contrôle ni ordre de notre part, c’est plus ou moins bienvenu.

Lorsque l’on monte à l’Estive il reste systématiquement à l’arrière du troupeau alors que nous sommes à l’avant et il attend et course les trainardes.

Le bilan est plus que positif. Lutin ne nous coute quasiment rien en frais, pas de sac de croquettes à monter. Pour de la protection contre les chiens il est parfait, nous nous doutons que contre le Loup, seul il tenterait de défendre mais ne ferait pas le poids devant une meute. La solution si le loup s’installe sera alors soit soit de lui adjoindre l’aide de chiens de protection, soit de prendre plusieurs âne,

Des études sont menées sur l’utilisation de plusieurs ânes ou mulets pour la protection contre le loup. Nous devons rencontrer une chercheuse en juillet 2023 qui part à la rencontre d’éleveurs qui utilisent l’âne gardien, pour échanger sur ce sujet.

Avec un peu de recul, je pense que pour former et imprégner un jeune ânon il serait souhaitable de le mettre dès sa naissance avec sa mère en bergerie avec un troupeau ovin ou caprin. Il faudrait pour cela mettre en place un élevage spécifique d’ânes gardiens.

J’ai également la sensation au vu de son comportement général qu’il lui faut la présence d’un alter ego pour qu’il ne se retrouve pas en position dominante sur le troupeau, ce ne doit pas forcément être un âne, notre présence fonctionne, un bouc joue également bien ce rôle. C’est un comportement que nous souhaiterions vérifier auprès d’autres éleveurs utilisant comme nous l’âne gardien.

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